TocCyclopédie ■ Époques

A Turin, un sadique assassine des jeunes femmes. Des indices relient cette affaire à des crimes commis il y a dix-sept ans dans la même ville. La police fait alors appel à Ulisse Moretti, un inspecteur retraité qui avait résolu cette affaire en son temps...



Le fantôme de l'opéra (1998), malgré un accueil critique très mauvais, parvint à avoir un certain succès en Italie. Argento accepta de signer ensuite un contrat avec la compagnie italienne Cecchi Gori Group Tiger Cinematografica, un groupe assez fameux qui a travaillé tout au long des années 90 (Le facteur (1994) de Michael Radford, Par-delà les nuages (1995) de Michelangelo Antonioni et Wim Wenders...). Il accepta de réaliser pour eux trois "giallos", style de thriller italien dans lequel Argento avait excellé au début des années 70 (L'oiseau au plumage de cristal (1970), Les frissons de l'angoisse (1975)...). Le premier fut Le sang des innocents et le second aurait du être appelé Occhiali neri (lunettes noires). Mais, le projet s'arrêta juste avant le commencement du tournage, à cause, semble-t-il, de problèmes financiers rencontrés par Cecchi Gori Group Tiger Cinematografica. Dans Le sang des innocents, le rôle principal est tenu par Max Von Sydow, surtout célèbre pour avoir été l'acteur fétiche du suédois Ingmar Bergman (Le septième sceau (1957), Les fraises sauvages (1957)...), réalisateur qu'Argento a toujours avoué admirer. On apprécie aussi la présence de vétérans du cinéma populaire italien, comme Gabriele Lavia (Les frissons de l'angoisse et Inferno (1980) d'Argento...) ou Rossella Falk (Journée noire pour un bélier (1971) de Luigi Bazzoni, Le tueur à l'orchidée (1971) d'Umberto Lenzi...). On remarque aussi la présence de Stefano Dionisi (Farinelli (1994) de Gérard Corbiau, La trêve (1996) de Francesco Rosi...). Pour la musique, Dario Argento avait d'abord pensé à Goran Brecovic (Le temps des gitans (1989) d'Emir Kusturica...). Mais, en fin de compte, le groupe Goblin (Les frissons de l'angoisse, Suspiria (1977)...) se reformera 12 ans après sa dernière musique de film (Sanctuaire (1988) de Michele Soavi) pour composer les excellents thèmes de Le sang des innocents. La comptine, qui sert de clé à cet énigme criminelle, a été écrite par Asia Argento, fille du réalisateur et actrice (Le syndrôme de Stendhal (1996)...)

Il s'agit donc donc d'un retour au giallo, genre qu'Argento avait largement popularisé avec L'oiseau au plumage de cristal, mais qu'il avait abandonné après Ténèbres (1982) pour se mettre à réaliser des oeuvres plus personnelles, plus folles et beaucoup plus difficilement classables, ou le pire (Trauma (1993)) côtoyait le meilleurs (Le syndrôme de Stendhal...). Le sang des innocents respecte donc fidèlement les codes que Mario Bava (Six femmes pour l'assassin (1964)...) et Dario Argento ont mis en place : un tueur imaginatif, amateur d'armes blanches et ne s'abaissant jamais à employer des armes à feu, massacre essentiellement de jolies femmes dans des mises à mort spectaculaires. Pendant ce temps-là, les enquêteurs remontent laborieusement les pistes qui leur relèveront, à la toute fin du film, l'identité du tueur : on va donc suivre un habile récit policier (rappelons qu'Argento est un passionné de polars), raconté au premier degré, avec de nombreux rebondissements et moult révélations qui pourraient être ponctués de "Bon sang, mais c'est bien sûr", et autres "Élémentaire, mon cher Watson !". Le scénario semble se décomposer clairement en deux parties : le début du métrage consiste en l'accumulation de trois meurtres spectaculaires et sanglants qui plongent d'emblée le spectateur dans une atmosphère tendue et particulièrement violente ; ensuite, on suivra une enquête qui se concentrera plus sur les motivations du tueur, sur son environnement et son passé, que sur son identité.

Comme souvent chez Argento (L'oiseau au plumage de cristal, Les frissons de l'angoisse...), les enquêteurs que l'on va suivre ne seront pas des policiers, mais des personnes en marge des méthodes et des procédures officielles (et cela n'est pas sans rappeler l'antagonisme entre le génial Sherlock Holmes et les incapables de Scotland Yard dans les romans de Conan Doyle). Pour Moretti, la recherche de la vérité devient une obsession, une quête jubilatoire exaltant son intellect et faisant renaître ce retraité passablement rouillé qui nous est présenté au début du métrage. Giacomo lui apporte son aide afin de surmonter un traumatisme enfantin (il a assisté au meurtre de sa mère). Argento va opposer ici, assez malicieusement, les techniques d'investigation modernes aux méthodes traditionnelles d'Ulisse. Comme souvent chez ce réalisateur, les relevés d'empreintes digitales (Les frissons de l'angoisse...) ou l'emploi de l'informatique (L'oiseau au plumage de cristal...) vont mener à des impasses, alors que les investigations d'Ulisse, s'appuyant en grande part sur l'étude de la personnalité et des motivations du tueur, s'avéreront fructueuses et rapides. Mais ces détectives amateurs sont terriblement vulnérables, et leurs investigations obsessionnelles mettent en danger leurs proches (comme dans L'oiseau au plumage de cristal ou Le chat à neuf queues (1971)...).

Dans Le sang des innocents, on retrouve l'étude de l'enfance, un des thèmes récurrents des oeuvre de Dario Argento. Âge de tous les traumatismes (Quatre mouches de velours gris (1973), Les frissons de l'angoisse, Phenomena (1985), Terreur à l'opéra (1987)...) où les personnalités sont malléables et fragiles, il permet à Argento de mêler un univers technique et réaliste (le train, la boîte de nuit...) à un imaginaire enfantin teinté de figures grotesques et fantastiques (le nain, la maison hantée...). Argento peint sans hypocrisie les enfants comme des êtres parfois cruels, fascinés par le macabre, aimant faire souffrir des animaux innocents et cherchant à appréhender la Mort, qui leur est un domaine encore assez étranger. D'autre part, Argento s'appuie à nouveau sur la cruauté des récits pour enfant (Suspiria et Phenomena évoquaient des contes de fée) : ainsi, il rapproche la violence de la littérature policière de celle des contes enfantins.

Un autre élément qu'on peut rattacher au monde de l'enfance, et qui est récurrent dans le travail d'Argento, est la présence des animaux. Cette obsession évoque sa passion pour les écrits d'Edgar Poe qu'il admire tant (Le chat noir et Le corbeau, évidemment, mais aussi le cheval de Metzengerstein, le singe de Double assassinat dans la rue morgue (qu'on retrouvera dans Phenomena)...). Comme lui, Argento emploiera des noms d'animaux pour nommer ses premiers films (L'oiseau au plumage de cristal, Le chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris). Les animaux mystérieux, tantôt dangereux (les chats et les rats d'Inferno...), tantôt amicaux (les insectes de Phenomena...), ont toujours eu une place à à part dans l'univers d'Argento.

Dans Le sang des innocents, le tueur va commettre ses meurtres en suivant un véritable dispositif artistique et compliqué, qu'il applique avec un soin maniaque, comme dans Ténèbres ou Les frissons de l'angoisse. Ces meurtres sont perpétrés en suivant une comptine enfantine relatant la mise à mort d'animaux de la ferme par un fermier : à la manière de Dix petits nègres d'Agatha Christie, le tueur va inventer des formes de mises en scène macabres pour faire correspondre ses crimes à la comptine, ce qui donne lieu à des massacres spectaculaires aux effets spéciaux très gore (réalisé par l'incontournable Sergio Stivaletti (Dellamorte Dellamore (1994) de Michele Soavi, Terreur à l'opéra...). Ce processus fait du tueur un véritable créateur, un artiste s'exprimant à travers des crimes sanglants : le meurtre d'un homme à coups de stylo dans la boite crânienne prend ainsi une force allégorique toute particulière ! On remarque d'ailleurs que, comme dans presque tous les films d'Argento, des personnages travaillent dans des milieux artistiques (musicien, écrivain...), ce qui rappelle encore de nombreuses oeuvres de Bergman traitant de crises créatrices chez des artistes (L'heure du loup (1968) et son écrivain, Jeux d'été (1951) et sa danseuse, Le septième sceau(1957) et ses comédiens...).

Comme souvent dans ses récits policiers, Argento nous invite à nous méfier des apparences. Il invoque donc à nouveau l'ambivalence des images pour tromper le spectateur (à la manière du Hitchcock de Soupçons (1941) ou de Sueurs froides (1958), ou bien du Mario Bava de La fille qui en savait trop (1963)...), comme dans L'oiseau au plumage de cristal ou Les frissons de l'angoisse. Cette invitation à voir au-delà des apparences permet aussi à Argento d'insérer dans son récit les figures de mannequins et d'automates (comme dans Les frissons de l'angoisse...), doubles inquiétants, qui hantent le fantastique depuis les contes d'Hoffman et Le joueur d'échec d'Edgar Poe. Mais cette réflexion sur les apparences mène encore à des études sur la monstruosité et le regard porté sur la différence (notamment la vieillesse), à la manière de Phenomena.

Au-delà de ce mélange habile de thèmes typiques d'Argento dans un efficace récit policier, on apprécie aussi la réalisation toujours brillante et inventive de ce réalisateur (tous les meurtres sans exception, le cimetière, l'exploration de la maison abandonnée...) mise en valeur pour les prouesses de chef-opérateur Ronnie Taylor (Phantom of the Paradise (1974) de Brian De Palma, Terreur à l'opéra, Le fantôme de l'Opéra...) (toutes les séquences avec le train en mouvement, la scène du "tapis"...). Taylor crée une atmosphère moderne, décrivant un univers réaliste, mais aussi assez aseptisée et étrange, comme dans Ténèbres, dont l'esthétique s'inspirait de séries télévisées comme Columbo. Ce décalage est obtenu en travaillant sur des couleurs vives et tranchées qui reviennent de manière récurrentes et obsessives (le rouge du sang, le bleu de la nuit et du métal, mais aussi le verts des branchages autour de la maison hantée ou des statues en bronze du cimetière).

On apprécie un casting particulièrement réussi, qui nous change de la catastrophe de Le fantôme de l'opéra. Max Von Sydow semble bien s'amuser dans ce rôle de Sherlock Holmes du troisième âge, et Stefano Dionisi campe un jeune premier assez convaincant, heureusement plus proche de Tony Musante dans L'oiseau au plumage de cristal ou de David Hemmings dans Les frissons de l'angoisse que de Leigh McCloskey dans Inferno ou Andrea Di Stefano dans Le fantôme de l'opéra. On apprécie aussi la qualité des nombreux seconds rôles pittoresques (les prostitués, le gardien de parking, le clochard, les flics...) qui participent à l'humour à la fois macabre et bon enfant typique des giallos d'Argento.

Certes, la durée de deux heures peut paraître excessive (comme pour Les frissons de l'angoisse), et le film s'enlise à de rares moments dans certaines conversations peu captivantes. Mais il faut bien voir qu'il s'agit d'un récit policier, style dont la structure narrative est plus exigeante que pour un film fantastique comme Suspiria ou Phenomena. Il faut donc des scènes de discussions, de réflexions et de mises en valeur de personnages que ceux qui ne goûtent pas trop la littérature policière pourront trouver surabondantes. Mais pour les autres, Le sang des innocents est une belle réussite d'Argento. Si il ne réinvente pas le genre du giallo, il nous en propose néanmoins une version remise à jour (le tueur traque maintenant les gogo dancers des boîtes de nuit !), très efficace et passionnante à suivre.

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Excellent
■ Fab 27/10/2003
Argento nous livre ici un excellent film, parfaitement réalisé (le fameux travelling sur le tapis est impressionant !), doté d'un scénario riche, la musique de Goblin colle parfaitement aux images... Bref on passe un très bon moment devant ce film.

Comme d'hab', la version française est calamiteuse, donc préférez la version originale en italien ! :)
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